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Dans la cour d'école

Violences passées sous silence

Difficile à reconnaître

«Comme cette violence est difficile à identifier pour ceux qui la vivent, elle n'est pas facile à chiffrer», commente Marie-Sol Caron. Fortement sensibilisée à ce problème, Marie-Sol a entrepris des études de maîtrise et a conduit une enquête sur l'agression indirecte, réalisée auprès du personnel des écoles primaires. «Leurs réponses nous amènent à conclure qu'il y a autant de manifes­tations d'agres­sion indirecte que de manifestations d'agression directe dans les écoles», déclare-t-elle. Un résultat qui concorde avec certaines statistiques de l'Enquête sur la violence à l'école du Québec (EVEQ), la seule étude québécoise sérieuse à s'être penchée sur l'ensemble du phé­nomène : 70 % des membres du person­nel scolaire interrogés perçoivent des compor­tements de rejet et d'isolement chez leurs élèves.

Les résultats recueillis par Marie-Sol auprès de 19 écoles de l'Estrie et de la Montérégie portent à croire que les membres du personnel scolaire sont conscients qu'il existe dans leur établissement des cas d'ostracisme. Geneviève Martel, elle, n'en est pas si sûre. «L'enseignante de ma classe, la seule adulte qui aurait pu intervenir, n'a jamais admis qu'il y avait un conflit entre mon bourreau et moi. Est-ce parce qu'elle n'a pas réalisé ce qui se passait? A-t-elle choisi de fermer les yeux délibérément? Je pense que la vérité se trouve quelque part entre les deux.»

Au cours des dix dernières années, la formation universitaire des futurs enseignants est passée de trois à quatre ans, dans le but notamment d'accroître les activités pédagogiques visant à dé­velopper les compétences pour gérer les problèmes de compor­tements et les situations difficiles. Des chercheurs universitaires et des inter­venants des milieux scolaires québécois ont aussi entrepris plusieurs actions visant une meilleure adaptation scolaire et sociale des élèves.

Néanmoins, malgré cette volonté manifeste de mieux répondre aux besoins des élèves, des efforts de sensibilisation restent encore à faire auprès du personnel scolaire. Des chercheurs indiquent en effet que même si la majorité du personnel scolaire remarque chez les élèves des comportements liés à l'agression indirecte, il n'intervient que dans un cas sur cinq. En contrepartie, lorsqu'il est question d'agressions physiques, le personnel agit une fois sur deux. Dans les cas d'agressions verbales, il inter­vient une fois sur trois?6.

«La grande majorité des interve-nants que nous avons questionnés disent avoir déjà entendu parler de la violence indirecte, affirme Marie-Sol Caron. Pourtant, seulement 30 % de nos répon­dants disent avoir recours à des mesures pour contrer l'agression indirecte. En revanche, les mesures touchant les agressions directes ont été évoquées par près de la totalité d'entre eux (91,6 %).»

D'autres enquêtes rapportent qu'un enseignant sur quatre considère que répandre des rumeurs et ignorer une personne ne sont pas des actes d'inti­midation. Lorsqu'il s'agit d'exclure une personne d'un groupe, plus de la moitié des enseignants répond que ce n'est pas de l'intimidation?7.

Spécialiste des troubles de comportement chez les filles, Pierrette Verlaan s'intéresse aux programmes de prévention des conduites agressives indirectes. Avec la psychologue Michèle Déry, de l'Université de Sherbrooke, elle a publié Les conduites antisociales des filles : comprendre pour mieux agir. Cet ouvrage a remporté le Prix scientifique 2007 en psychoéducation de l'Ordre des conseillers d'orientation et des psychoéducateurs du Québec.
Spécialiste des troubles de comportement chez les filles, Pierrette Verlaan s'intéresse aux programmes de prévention des conduites agressives indirectes. Avec la psychologue Michèle Déry, de l'Université de Sherbrooke, elle a publié Les conduites antisociales des filles : comprendre pour mieux agir. Cet ouvrage a remporté le Prix scientifique 2007 en psychoéducation de l'Ordre des conseillers d'orientation et des psychoéducateurs du Québec.

«Pour l'instant, on ne parle pas le même langage!», s'exclame la profes­seure Pierrette Verlaan, qui a dirigé les travaux de Marie-Sol Caron. «Il y a encore beaucoup de sensibilisation à faire, notamment auprès des directions d'école.» Selon elle, plusieurs intervenants scolaires ignorent les situations d'agression indirecte parce qu'ils ne savent pas encore les reconnaître. «Certains pensent toujours qu'il s'agit d'une étape normale du développement. D'autres ignorent les conséquences ravageuses de ces actes sur les victimes. Pourtant, les impacts peuvent se faire sentir jusqu'à l'âge adulte : sans intervention, les agresseurs se confortent dans leurs agirs violents et ils risquent de les reproduire toute leur vie. Plusieurs enseignants ne croient pas que l'agression indirecte soit une question de cruauté ou de méchanceté. Mais c'est un problème grave, entre autres parce qu'il est sous-estimé.»

Cette attitude passive du milieu scolaire a un impact majeur, puisqu'elle offre à l'agresseur les conditions idéales pour conserver sa position de force. Si la victime pense que les adultes ignorent son problème, il y a très peu de chances qu'elle trouve le courage de dénoncer son adversaire. L'agresseur, lui, croit que ce qu'il fait est toléré et permis par le milieu scolaire.

«C'est tellement facile de se com­porter de manière à dénigrer quel­qu'un!», lance Geneviève Martel. Après avoir été la cible de quelques épisodes d'intimidation, Geneviève a décidé de faire subir à une autre ce qu'elle avait elle-même enduré. Elle a adopté une attitude franchement apathique à l'égard d'une camarade de classe qui tentait de s'introduire dans son cercle d'amis. Le vent a tourné lorsque la jeune fille en question a affronté Geneviève. «Surprise, je lui ai présenté mes excuses et j'ai réajusté mon attitude. Mais j'en retiens que ceux qui intimident ne rencontrent pas beaucoup d'obstacles, si ce n'est la victime elle-même!»

Le milieu scolaire, pense Geneviève, doit être proactif et «mettre ses culottes». «Ce type d'agression doit être arrêté aussitôt qu'il est observé, ajoute-t-elle. Il faut crever l'abcès et montrer aux élèves concernés à régler leurs conflits, en leur demandant de s'expli­quer. Mais je suis consciente qu'on exige déjà beaucoup de choses des enseignants.»

6 Xie, H., Cairns, B.D. et Cairns, R.B. (2005); Xie, H., Farmer, T.W. et Cairns, B.D. (2003).

7 Boulton, M.J. (1997).